Lettre N°4 septembre –octobre 2023

La découverte par le Dr Paul Nogier de l’identité entre l’anthélix et l’image de la colonne vertébrale date de 1953.

Nous voulons rendre hommage, une fois encore, à ce Maître prestigieux, pour le génie et l’énergie qu’il a su mettre dans son étude. Il a apporté aux médecins une dimension innommée de traitement des souffrants par la sollicitation des processus dormants, naturels, de défense ; il nous a apporté les moyens de solliciter et de provoquer les capacités d’auto-réparation d’un organisme malade.

Un autre apport essentiel a été, en 1958 puis en 1963, la thèse de sciences de Jacques Niboyet « La moindre résistance à l’électricité de surfaces punctiformes et de trajets cutanés correspondant avec les points et les méridiens d’acupuncture ». Il démontre les propriétés électriques de ces points, dont la résistance est plus faible que leur environnement immédiat. Cette notion sera rapidement étendue aux points d’auriculothérapie.

En 1962, Y. Grall vérifie et confirme les recherches de Niboyet, en comparant les résistances électriques des points d’acupuncture mesurés avec l’appareil du japonais Manaka, trouvés échelonnés entre 5 et 50 kilo Ohm alors que les points neutres ont, eux des résistances comprises entre 0.5 et 3 kilo Ohm.

Dans les années 1975, le professeur Jean Bossy, neuroanatomiste à Nîmes, mesure qu’aux points d’acupuncture et d’auriculothérapie détectés la résistance électrique pouvait chuter d’un facteur de 10 à 1.

Les points d’auriculothérapie pouvait donc être détectés par une mesure physique électronique ; à partir de là, sont nés les détecteurs de points d’auriculothérapie, rendant plus fiables la localisation de ces points réflexes d’oreille.

Toujours dans ces mêmes années Claudie Terral, chercheuse sous la direction du professeur Pierre Rabischong, neuroanatomiste à la faculté de médecine de Montpellier, conduit d’importants travaux sur les propriétés électriques des points d’acupuncture et d’auriculothérapie qu’elle poursuit jusqu’en 2006. Ces apports fondamentaux permettent de comprendre sur le plan scientifique les propriétés électriques des zones de la peau du corps et de l’oreille.

En 1984, à Montpellier, au laboratoire d’histologie du professeur René Sénalar (unité 103 de l’Inserm) Odile Auziech dans sa thèse de Doctorat en Médecine met en évidence au niveau des points d’oreille de moindre résistance cutanée (donc au niveau des points d’auriculothérapie) une structure histologique particulière (l’histologie est l’étude sous microscope des tissus) qu’elle dénomme « complexe neurovasculaire » et qui comporte un paquet d’éléments vasculaires et nerveux et un nerf cutané adossé à une veine.

Les points d’auriculothérapie sont donc une réalité démontrée électrophysiologique et histologique.

Dès 1972, parmi les élèves de Paul Nogier, les docteurs René Bourdiol et René Kovacs, amorcent les bases neurologiques de la discipline avant que, armé des connaissances de la neurophysiologie le professeur David Alimi ancre définitivement l’auriculothérapie au port des neurosciences.

L’auriculothérapie était donc en marche, passant au cours des décennies qui vont suivre du stade « artisanal », empirique et expérimental à un stade scientifique, neurophysiologique qui lui ouvriront les portes des hôpitaux et des Facultés de Médecine.

Cette transition se confond un peu avec ma propre histoire.

En 1978 quand je passais ma thèse de Doctorat en Médecine, l’auriculothérapie avait 25 ans et je n’en avais jamais entendu parler. J’avais suivi une formation d’acupuncture pendant 3 ans et j’étais donc ouvert aux thérapies complémentaires. Sur le plan acupuncture, j’avais eu l’occasion de passer de la théorie à la pratique, pendant mon service militaire, où, en ma qualité de Médecin Aspirant j’avais la charge de la consultation de médecine générale du Groupement de la Gendarmerie de Strasbourg. Après cette expérience fructueuse, je me suis installé en 1980 comme médecin généraliste libéral à Epinal, et exerçais donc la médecine générale utilisant utilement mes connaissances d’acupuncture quand la situation le demandait. En 1981, je vis dans une revue médicale un encart qui proposait une conférence sur l’auriculothérapie qui était présentée comme une réflexothérapie utilisant des points réflexes de l’oreille. Le conférencier était le Docteur Paul Nogier, inventeur de la méthode. Nous étions alors une cinquantaine de confrères, certains déjà formés à la méthode, d’autres totalement novices. Le Docteur Nogier était un génial inventeur et scientifique mais ses qualités pédagogiques laissaient à désirer : il s’adressait à nous, novices et ignorant tout de la méthode, comme si nos connaissances dans cette matière étaient déjà avancées ; je le considérais un peu comme le Professeur Tournesol. Toujours est-il que je n’avais pas retenu grand-chose de ses exposés. Si ce n’est, la localisation de l’articulation de la mâchoire à l’oreille. J’avais également acquis un détecteur de points  ainsi que quelques aiguilles. Dans la semaine qui suivi, un patient se présenta à ma consultation incapable d’ouvrir la bouche ; il présentait ce qu’on appelle un « trismus », une contracture invincible des muscles de la mâchoire lié à un accident de dent de sagesse (inflammation de la dent de sagesse à l’origine de  ce trismus réflexe). Fort de ma toute récente connaissance je piquai le point de la mâchoire, avec une telle application que je lui transperçai l’oreille, faisant sans le savoir, tel le Bourgeois Gentilhomme, ce qu’il fallait faire : en effet la partie sensitive de l’articulation temporo-mandibulaire est représentée sur la face antérieure de l’oreille alors que sa commande motrice l’est sur la face postérieure. Le patient immédiatement libéré, étonné, ouvrit sa bouche et était capable maintenant de parler ; à vrai dire j’étais encore plus étonné que lui. Même si je ne compris pas, à ce moment-là, ce qui s’était passé, le fait était là : la stimulation d’un point d’oreille a eu une efficacité immédiatement constatée sur mon patient ; ce n’était pas le fruit du hasard ni celui d’un effet placébo.

Je décidai donc de me former à l’auriculothérapie et m’inscrivis à l’école du GLEM (Groupement Lyonnais d’Etudes Médicales) à Lyon, dirigée par le Docteur Paul Nogier : cet enseignement se déroulait sur 3 ans : 1981, 1982, et 1983 furent donc consacrés à l’apprentissage de l’auriculothérapie. C’était un enseignement exigeant, qui se passait les week-ends (vendredi, samedi et dimanche), m’obligeant à fermer mon cabinet, et sacrifier ma vie de famille, exigeant donc, mais je revenais le lundi plein d’enthousiasme et de nouvelles perspectives pour soigner mes patients.

1984, 1985 et 1986 furent consacrés à l’apprentissage de l’auriculomédecine. Je dois là, ouvrir une parenthèse et vous expliquer ce qu’est l’auriculomédecine. En 1966, Paul Nogier qui était également acupuncteur, donc habitué à examiner ce qu’on appelle les pouls chinois, découvre un nouveau phénomène : le réflexe auriculo-cardiaque (dénommé RAC), encore appelé Vascular Autonomic Signal (VAS). Si un organe est en dysfonction, une stimulation mécanique du point correspondant sur l’oreille provoque une modification du pouls que l’on ressent au niveau du pouls radial. Et plus généralement, la stimulation de la peau en périphérie, par un agent physique, par un agent organique traversé par la lumière ou par un filtre coloré déclenche si cette stimulation est reconnue comme anormale par l’organisme, cette réaction au niveau du pouls radial ; à partir de là, le Dr Paul Nogier développe toute une technique diagnostique pour définir les points à traiter au niveau de l’oreille en cas de pathologie. Il utilise cette méthode, nous y reviendrons plus loin pour établir une cartographie complète des points d’auriculothérapie.

Après ces 6 années d’études, je savais traiter un malade en auriculothérapie. Mais le mécanisme d’action de cette thérapie réflexe m’était toujours inconnu : d’hypothèses en hypothèses, chaque question amenait une réponse mais ouvrait la voie à d’autres questions ; plus j’en savais, moins j’en savais.

L’enseignement du Glem avait été incapable de me faire comprendre les mécanismes intimes du fonctionnement de l’auriculothérapie. Je pratiquai dans ces années-là une auriculothérapie que je qualifierais d’artisanale, d’expérimentale, appliquant les recettes que j’avais apprises. Ce qui était frustrant pour mon esprit qui avait soif de comprendre.

En 1989 je suivis l’enseignement du Dr René Bourdiol, dont je savais qu’il avait été le collaborateur du Dr Paul Nogier ; il avait mis dès 1965 ses qualités de neurophysiologiste et de neuroanatomiste au service de Paul Nogier pour établir la cartographie des points d’oreille et élaborer des théories neurophysiologiques sur le mécanisme d’action de l’auriculothérapie. Il avait fait la relation entre la construction embryologique de l’oreille (l’embryologie est l’étude du développement de notre corps à partir des trois feuillets tissulaires fondamentaux qui constituent l’embryon puis le fœtus dans le ventre de sa mère), la localisation des points d’oreille et la pathologie qu’il s’agissait de soigner.

J’ai suivi l’enseignement du Dr René Bourdiol jusqu’en 2004 date de sa mort. Il fut incontestablement un de mes Maîtres. Ses connaissances étaient universelles ; il connaissait la Tradition. Il  m’apprit l’auriculothérapie sous un aspect un peu plus scientifique, l’acupuncture, la podologie (traitement des pathologies rachidiennes par le port de semelles, l’homéopathie, l’iridologie, la médecine manuelle, la prosphérentologie (utilisation des ondes de forme des lettres hébraïques), l’alchimie…Son enseignement était toujours précédé de rappels anatomiques physiologiques et biochimiques en lien avec les méthodes thérapeutiques qu’il nous proposait. Son enseignement se faisait sous forme de séminaires « intégrés ». Par exemple si le sujet d’un séminaire était « le rachis cervical » il nous apprenait à traiter toutes les maladies qui en dépendaient en nous exposant tous les moyens thérapeutiques que je viens de citer.

Mais ma soif de comprendre n’était toujours pas satisfaite. Et pour cause ; les technologies utilisées par la recherche scientifique n’étaient pas encore à la hauteur.

C’est vers les années 2000 que se produisit la véritable révolution en auriculothérapie grâce à l’apport de l’IRM fonctionnelle

celle-ci permet d’étudier le cerveau alors qu’il est stimulé ou qu’il travaille ; en d’autres termes, quand on porte une stimulation périphérique on peut observer où celle-ci aboutit au niveau du cortex cérébral.

Le professeur David Alimi a montré sur une série de 10 patients, que quand il stimulait le pouce en périphérie, il allumait les mêmes zones au niveau du cerveau  lors d’une IRM fonctionnelle que quand il stimulait la zone du pouce telle que représentée à l’oreille par le Dr Nogier. Cela prouvait donc la corrélation entre les zones périphériques du corps et leurs représentations au niveau des points d’auriculothérapie.

C’est cette étude princeps qui ouvrit à l’auriculothérapie les portes de la communauté scientifiques.

A partir de là de nombreux travaux furent menés, ainsi que de nombreuses études cliniques et en IRM fonctionnelle prouvant la réalité de l’action de l’auriculothérapie.

Le professeur David Alimi grâce à ses connaissances neurophysiologiques, a donc théorisé et expliqué les mécanismes d’action de l’auriculothérapie. Il est à l’origine de la création d’un enseignement de l’auriculothérapie d’abord à la faculté de médecine de Bobigny Paris XIII (Diplôme Universitaire d’Auriculothérapie) puis à la faculté de médecine du Kremelin Bicêtre Paris XI.

En 2008 il crée la SO.F.A : société savante de l’auriculothérapie : Société Française d’Auriculothérapie.

Puis le SNAF : Syndicat National d’Auriculothérapie Française

Je devins donc un de ses élèves, puis, mon diplôme passé  un de ses enseignants ; à son contact je trouvai les réponses à toutes les questions restées en suspens pendant toute ma carrière d’auriculothérapeute ; il a su répondre avec des arguments scientifiques à tous mes questionnements ; en 2013 nous sommes allés à la faculté de médecine de Strasbourg, et réussîmes à convaincre  après avoir présenté le dossier scientifique de l’auriculothérapie, les autorités universitaires de cette faculté d’étendre le diplôme de la faculté du Kremelin Bicêtre à celle de Strasbourg ; je fus pendant plusieurs années le responsable pédagogique de l’enseignement d’auriculothérapie de la faculté de Strasbourg.

L’auriculothérapie se répandait à travers le monde. Le professeur David Alimi, devant un tel succès  a crée l’Institut International d’Auriculothérapie Médicale et Scientifique et m’a demandé d’intégrer son équipe d’enseignants, ce que j’ai fait avec bonheur.

Il enseigne l’auriculothérapie en Italie, en Suisse, en Belgique, en Espagne, aux Etats Unis, au Canada.

Sous l’égide du professeur Alimi l’auriculothérapie est donc passée d’un stade « artisanal » à un stade scientifique ; de recettes et de protocoles appris dans mes premières années j’avais compris ce qu’était l’auriculothérapie ; « d’aiguillothérapeute » j’étais grâce à lui devenu auriculothérapeute.

L’auriculothérapie a grâce a lui trouvé ses lettres de noblesse.

Voilà brossée en quelques mots l’Histoire de l’Auriculothérapie.

Dans notre prochaine lettre je vous expliquerai comment le Dr Paul Nogier a réussi, alors que la technologie moderne en était à ses balbutiements, à dresser une cartographie des points auriculaires ; c’est là tout son géni.