Elle tirée de l’ouvrage du Pr David Alimi « l’auriculothérapie médicale » Elsevier Masson 2° édition ; avec tous mes remerciements à l’auteur.
De l’Antiquité au XV° siècle
Dans les années 3000 avant J.-C., certains kabbalistes, érudits juifs étudiant et pratiquant la Kabbale, recommandent des techniques de visualisation des lettres hébraïques représentant l’oreille droite (Resh) ou gauche (Tav) pour aider à soigner les maux ou les maladies affectant l’hémicorps droit ou gauche ; nous savons maintenant que l’oreille droite est branchée sur le cerveau gauche par le biais de l’hémi-tronc cérébral gauche et représente l’hémicorps droit, alors que l’oreille gauche est branchée sur le cerveau droit par le biais de l’hémi-tronc cérébral droit et représente l’hémicorps gauche. Ils préconisaient aussi des « massages » et des « meurtrissures » pour soulager certains maux. Il est également écrit dans la Torah que « les oreilles sont semblables au Kelkal » (fine grille d’or pur, sur laquelle le grand prêtre dépose ses vêtements, pour qu’ils soient imprégnés d’encens brûlant sous la grille et diffusant au travers d’elle, avant de les revêtir pour se rendre au Saint des Saints, tabernacle dans lequel sont enfermés les rouleaux de la Loi ou Torah). Il s’agit là d’une analogie remarquable avec les pavillons de l’oreille, dont on sait aujourd’hui qu’ils sont une voie de passage de toutes les informations du corps, avant de se rendre au cerveau.
Vers 2500 ans avant J.-C. dans le Neï king, attribué à l’empereur chinois Hoang-Ti, il est écrit que « les vaisseaux dans l’espace de l’oreille régularisent les douleurs » reconnaissant ainsi une action thérapeutique aux oreilles.
Au X° puis au VIII° siècle avant J.-C., les Perses pratiquent des rudiments d’auriculothérapie, acquis des chinois à la faveur des grandes migrations nomades aux frontières avec la Chine.
Au IV° siècle avant J.-C., Hippocrate pratique incisions et saignées au niveau des oreilles dans des cas d’impuissance et de frigidité. Il tient cette technique des Egyptiens, qui la tenait eux-mêmes des Hébreux.
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Dans les années 160 après J.-C., le médecin Claude Galien fusionne la médecine hippocratique avec l’anatomie et la physiologie, et l’introduit dans l’empire romain ; il préconise des scarifications des pavillons auriculaires pour les maladies du foie et de la rate.
Après la chute de l’empire romain en 476, les connaissances médicales hébraïques, égyptiennes, grecques et romaines sont regroupées et conservées dans les canons de la médecine de l’ancienne Perse et du monde arabe. Dans ce compendium, on retrouve des références spécifiques à l’auriculothérapie dans le traitement des douleurs sciatiques et des troubles sexuels par cautérisation des pavillons.
En Chine, on retrouve dans les ouvrages médicaux et dans le langage populaire, de nombreuses indications de stimulation des pavillons des oreilles, par massages ou piqûres. On parle également d’éléments de diagnostic des maladies par l’analyse morphologique des pavillons auriculaires.
Au XI° siècle, le Perse Abu Ali Ibn Sinâ, dit Avicenne, médecin et philosophe, érudit, dans son célèbre Canon de la médecine, décrit une technique de traitement des céphalées par incision des faces internes des pavillons.
Dans les années 1127, Stephanus Antiochensis, traducteur grec du médecin et psychologue perse Ali Ibn Abbäs, auteur du Livre de l’art médical une encyclopédie médicale plus pragmatique et plus concise que le Canon de la médecine d’Avicenne, décrit l’éléphantiasis et son traitement par des incisions des artères de la face postérieure des pavillons auriculaires, ainsi qu’une technique de l’incision de ces artères pour toutes sortes d’affections de la tête.
Au XIII° siècle, les Turcs pratiquent l’auriculothérapie en cautérisant le pavillon des oreilles pour traiter des maladies oculaires.
Note : pour une meilleure compréhension de la suite, qui va utiliser des termes anatomiques, nous vous présentons à la fin du texte une anatomie sommaire du pavillon de l’oreille.

En 1504, le peintre flamand Hieronymus Van Acken, appelé Jérome Bosch, réalise un triptyque appelé Le jardin des délices exposé au musée du Prado à Madrid, dont le panneau de droite dénommé L’enfer érotico-musical, montre avec une précision surprenante, digne d’un initié, de véritables techniques auriculothérapiques (stimulation de la libido et traitement de la sciatique).

Toujours au XVI° siècle, dans le nord de la Transylvanie, sur le portique du monastère Stao, construit par le prince moldave Bogdan Voda, on peut voir une peinture décrivant une séance d’auriculothérapie sur les oreilles d’un soldat turc.
Au XVI° siècle, les vigiles corsaires, hissés en haut du mat de guet, portent un anneau d’or au centre du lobule de l’oreille, du côté de la latéralité, pour aiguiser leur acuité visuelle et reconnaitre de loin les vaisseaux ennemis ; on sait aujourd’hui que ce point est la représentation de l’œil.
Du XVI° au XIX° siècle
Le docteur Fransiscus Vallesius (1524-1592), médecin personnel du roi Philippe II d’Espagne, apprend des Maurs la technique de cautérisation de l’anthélix pour traiter la sciatique.
Dans la première moitié du XVII° siècle, le chirurgien Marco Aurelio Severino, de l’université de Tarse utilise beaucoup les cautérisations du pavillon de l’oreille ; il rapporte le soulagement de violentes rages de dents, après saignée d’une veinule rétro-auriculaire ou cautérisation d’une portion de l’anthélix ; il mentionne ainsi la cure de 200 cas de rages de dents par ces moyens ; il cite le cas du soulagement d’une céphalée chez une jeune femme en incisant une veinule du lobe auriculaire.
Dans les années 1600, Adriaan van den Spiegel, d’origine flamande, professeur d’anatomie, à Padoue en Italie, est le promoteur d’incisions veineuses et de cautérisations de l’anthélix du même côté que les douleurs dentaires pour les soigner.
A la même époque, Ludovicus Mercatus, un médecin espagnol, recommande d’inciser et de cautériser une veinule du milieu de l’oreille pour soigner une sciatique.
En 1626, Jean Riolan, anatomiste français rapporte dans son ouvrage, Anthropographia ex propriis, & novis obervationibus collecta, concinnata l’usage régulier de la cautérisation ou d’incision de veinules de l’antitragus pour traiter des rages de dents ;il tente même de donner une explication en pensant qu’il y a des relations vasculaires entre l’antitragus et les dents.
Entre 1620 et 1690, l’Italien Bernardino Genga, dans Anatomia chirurgica écrit que l’un des remèdes les plus efficaces pour les douleurs dentaires est la cautérisation avec un fer chauffé au rouge, de l’antitragus ou de l’anthélix.
En 1637, dans Praxis Medica Admiranda, le médecin Portugais Zacutus Lucitanusreprenant les écrits d’Hippocrate, pratique au Portugal des cautérisations de la face interne de l’oreille en cas de migraines et d’acouphènes ainsi que de douleurs sciatiques et de la hanche.
En 1701, à Kiel, Schelhammer dans son essai De Odontalgia tactu sananda, décrit des manœuvres de manupression des antitragus, pour traiter des douleurs dentaires.
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En 1717, Antonio Valsalva, en étudiant les zones anatomiques de l’oreille précise un point à « brûler », le point « H », rétro-antitragal, pour traiter les odontalgies, et qu’il décrit dans son traité De Aura Humana Tractacus.
En 1740, Antoine Nuck, professeur à l’université de Leyden, écrit un traité médical dans lequel il rapporte « l’invention d’un instrument pour traiter les rages de dents », à l’aide d’un fer rougi passé au travers d’un tube, permettant une cautérisation de l’antitragus.
En 1770, Lorenz Heister, décrit une cautérisation de l’antitragus pour traiter des douleurs dentaires.
En 1785, l’Italien Giovanni Battista Borsieri décrit lui aussi dans Institutionum medicinae practicae, une cautérisation de l’antitragus et du lobule pour des douleurs dentaires ; depuis cette technique continue d’être largement utilisée dans ces mêmes indications, par les praticiens auriculothérapeutes mais en utilisant des aiguilles à la place de la cautérisation.
En 1802, Laurent Bodin, en se référant à Nuck, Van Soligen, Valsalva et Decker, écrit un compendium de toutes les descriptions de cautérisations de l’antitragus pour soulager les douleurs dentaires.
En 1810, le docteur Ignaz Colla de Parme, décrit dans le journal Giornale medico-chirurgico di Parma, un sujet piqué par une abeille à la face postérieure de l’anthélix, qui a présenté une paralysie transitoire des membres inférieurs.
A cette même époque, le chirurgien italien, Giovanni Battista Monteggia, professeur d’anatomie et de chirurgie à Pavie, dans son traité Instituzioni chirurgiche, conclut qu’il doit y avoir une relation entre l’anthélix et les nerfs des membres inférieurs.
En 1850, le docteur Lucciana de Bastia en Corse, apprends des maréchaux-ferrants un point situé au bord du croisement de l’hélix et de l’anthélix pour traiter la sciatique ; cette zone prend le nom de « point corse ».
En 1850, le professeur Joseph-François Malgaigne à l’hôpital Saint-Louis, décrit de nombreuses observations de sciatiques guéries par ces mêmes techniques ; il relate ces observations dans la Revue médico-chirurgicale. Dans les décennies suivantes, de nombreux rapports médicaux relatent les bénéfices apportés par la cautérisation de zones de l’oreille pour soigner la névralgie sciatique la névralgie faciale, ainsi que des tentatives d’explications des relations entre l’oreille et le nerf sciatique.
Par la suite, le nombre de partisans de la méthode égale celui des détracteurs, parmi lesquels le neurologue français Guillaume Duchenne de Boulogne, qui reconnait dans les années 1860 la représentation des régions du corps du chien dans l’oreille mais refuse d’admettre l’efficacité des points d’oreille sur la sciatique humaine.
Certains médecins, à cette époque, affirment pouvoir calmer des crises d’asthme en projetant au niveau de l’hémiconque inférieure, un jet de chlorure d’éthyle (éther).
En 1946, dans l’Etat de New York, quelques chercheurs pédiatres, dont le docteur Edith L. Potter, signalent une grande correspondance entre des malformations rénales et une malformation de la branche montante de l’hélix auriculaire.
Ainsi comme nous avons pu le voir, l’utilisation de points d’oreille pour soulager certains maux a été pratiquée de façon empirique depuis la nuit des temps. Et c’est en 1951 qu’un médecin lyonnais le docteur Paul Nogier va redécouvrir et décrire de façon approfondie l’auriculothérapie.
Nous en parlerons dans notre prochaine Lettre du mois de juillet.
